Les Québécois méritent mieux que ça

Les électeurs québécois ont prouvé qu’ils supportent mal les politiciens corrompus. Cela permet d’espérer.

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Francis Vachon/CP

La semaine dernière, Maclean’s consacrait sa une à un article sur la politique au Québec intitulé “La province la plus corrompue du Canada.” Dans une chronique qui accompagnait l’article, Andrew Coyne prédisait que notre travail, tout comme la majorité des critiques de la société québécoise issues de l’extérieur de celle-ci, serait dénoncé par la classe politique de la province comme du “Québec bashing” (dénigrement systématique du Québec).

Il avait vu juste. L’article a été attaqué avec virulence par tous les politiciens qui se sont trouvés à proximité d’un microphone. Le chef du Bloc Québécois, Gilles Duceppe, a traité l’article de “xénophobe.” Le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, un organisme souverainiste, l’a décrit comme “haineux et diffamatoire.”

Le premier ministre du Québec, Jean Charest, qui venait tout juste de témoigner devant une commission d’enquête sur la corruption, nous a envoyé une lettre pour exiger que nous présentions nos excuses aux Québécois. Le chef libéral Michael Ignatieff a fait chorus, selon toute apparence sans avoir lu l’article.

En toute justice, reconnaissons que certains de nos critiques ont prêté une oreille attentive à nos propos sur la corruption politique au Québec. Certains ont nié l’existence de toute base objective permettant de décerner à la province le titre de pire délinquante au Canada. Il y a aussi de la corruption dans les autres provinces, ont-ils fait valoir; peut-être le Québec réussit-il simplement mieux qu’elles à mettre à jour les méfaits commis en son sein.

Il est vrai que nous ne disposons pas de données statistiques démontrant sans l’ombre d’un doute que le Québec constitue un cas isolé au Canada. Mais cela ne veut pas dire que nous devons suspendre tout jugement. Les preuves sont abondantes: les scandales succèdent aux scandales à tous les paliers de gouvernement dans la province. Chaque fois, ce n’est pas seulement à un ou deux mauvais éléments que l’on a affaire, mais bien à une corruption systémique. Au cours des cinq dernières années, nous avons connu le scandale des commandites, avec accusations de fraude, peines de prison et naufrage du Parti libéral du Canada. Des rumeurs ont couru sur la fixation des prix dans les grands chantiers de travaux publics à Montréal, tandis que des éléments mafieux donnaient au maire Gérald Tremblay des raisons de craindre pour sa sécurité. Enfin, tout récemment, d’innombrables allégations crédibles dirigées contre le gouvernement du premier ministre Jean Charest ont fait état de tours de passe-passe dans le financement des campagnes électorales ainsi que de trafic d’influence.

Oui, il y a de la corruption politique dans chaque province et dans chaque parti. Il y en a chez les anglos, chez les fédéralistes, et même chez les néo-démocrates. La question n’est pas là. Seul le Québec s’est trouvé aux prises pendant cette période avec une aussi riche collection de situations embarrassantes. Il importe de souligner qu’aucun de nos critiques n’a présenté de raisons valables pour attribuer à une autre province le titre de dernière de classe.

Une fois que se sont tues les bruyantes protestations des politiciens offensés ou simplement opportunistes, des voix plus réfléchies ont reconnu la validité de nos arguments. La Presse, principal quotidien grand format de la province, a jugé “indéniable” notre affirmation selon laquelle le Québec a connu un nombre de scandales plus élevé que le reste du Canada. Pourquoi en est-il ainsi? Cette question, concluait La Presse, “il y a longtemps que nous aurions dû nous la poser.”

Le chroniqueur politique Vincent Marissal, quant à lui, écrivait : “Je ne vois rien d’inexact ni même d’exagéré. Tous les médias québécois ont tiré de telles conclusions ces derniers mois.” Lorsque la télé de la CBC s’est mise en quête de réactions du public, elle a trouvé essentiellement des gens qui admettaient l’exactitude de nos propos. “C’est triste, mais ça pourrait bien être vrai,” a déclaré d’un air sombre un passant qui commentait le classement attribué à sa province.

Le Québec a bel et bien un problème. Son système politique ne répond plus aux attentes de sa population.

Mais soyons clair: il s’agit là d’un problème politique, qui met en cause les politiciens et la culture politique de la province, mais non son caractère ou sa population. Dans sa lettre, le premier ministre Charest prétend que nous avons décrit les Québécois comme “génétiquement incapables d’agir avec intégrité.” Comme toutes les accusations de “Québec bashing,” celle-ci n’est pas seulement fausse, elle est aussi mesquine, dans la mesure où l’ensemble des citoyens se trouve ainsi mêlé aux agissements des politiciens et de leurs petits copains. La population du Québec a déjà bien assez de devoir tolérer la corruption au sein des charges publiques—elle n’a pas à en être éclaboussée par la même occasion.

Les électeurs québécois ont prouvé à maintes et maintes reprises qu’ils supportent mal les politiciens corrompus. Ils ont souvent montré la porte à des gouvernements entachés par le scandale. C’est là une source d’optimisme quant à l’avenir de la culture politique au Québec. Autre source d’espoir: la vigueur du journalisme d’enquête dans la province. Une bonne partie des irrégularités que nous décrivions dans notre article a aussitôt fait l’objet d’enquêtes et d’exposés dans les quotidiens et les journaux télévisés.

Si la population et la presse du Québec continuent d’exiger de la part des élus les plus hauts standards de déontologie et de probité, les choses changeront. Nous croyons sincèrement que les Québécois méritent mieux que la situation actuelle.

Une remarque pour finir. L’utilisation que nous avons faite de Bonhomme Carnaval sur notre couverture a également soulevé beaucoup d’indignation. Henry Aubin, chroniqueur au quotidien montréalais The Gazette, nous a par exemple accusés d’avoir transformé la populaire mascotte en un “symbole de corruption.” Nous la trouvons plutôt forte, sachant à quel point les artistes francophones, au cours des années, ont utilisé Bonhomme à des fins satiriques ou l’ont fait figurer dans des caricatures politiques. Comme tous les Canadiens, Maclean’s reste un fervent défenseur du Carnaval de Québec et de la grande tradition québécoise d’hospitalité qu’il représente.